le 9 avril 1949
Le 09 Avril 1949
Grand’mère est morte le 9 Avril 1949 d’une crise cardiaque, à midi, le Samedi du « Shabbat Agadol » le "grand shabbat" qui précède la Pâque juive. Nous arrivions dimanche avec ma mère de Tlemcen où nous étions pensionnaires, Josiane et moi, pour passer à Constantine les vacances de Pâques qui coïncident le plus souvent avec la Pâque juive. Mon oncle Georges était, la veille, arrivé d’Alger où il faisait des études de Médecine. Il avait en vain tenté une piqûre pour ranimer grand'mère.
. A l’époque, le voyage en train de Tlemcen à Constantine (944 km) durait une journée et une nuit avec des changements et durant le trajet nous étions injoignables.
Surprises de ne trouver personne à la gare pour nous accueillir le Dimanche matin, nous avons appris sur le Pont d’El Kantara, par un cousin envoyé à notre rencontre, le décès brutal de grand’mère, la veille.
Il y avait foule à la maison. Des religieux en prière, des parents, des amis, dans le silence et la dignité. Pas de pleureuses ni de griffures de visages, ni aucune manifestation ostentatoire. Paul fit taire sans ménagement une des soeurs de grand'mère, Eugénie, qui se lançait dans une bruyante lamentation. Elle s'immobilisa puis se mit à secouer la tête, puis dodeliner en silence avec un rictus de douleur dont seules les pleureuses ont le secret. Je restais figée appuyée contre un chambranle de porte n'osant approcher la chambre mortuaire. Qu'arrivait-il aux âmes des morts? J'étais glacée. Pour la première fois j'étais confrontée à la mort. Les larmes ne venaient pas. Paul qui n’avait que 20 ans s’est jeté dans nos bras, les yeux secs, désespéré : « Grand’mère est morte ! ». Aucune larme pour évacuer le mal. Pendant tout le mois de deuil il se rendait sur la tombe pour parler avec sa mère. Et le soir, depuis le petit balcon de la rue Thiers, les yeux fixés vers les dômes rouges de l'hôpital au- delà duquel, dans le cimetiére juif, reposait sa mère, il parlait toujours.
Sur l'autre rive du Rhumel, l'hôpital vu de la fenêtre de la salle à manger 44 rue Thiers. Au-delà se trouve le cimetière juif. Cliché de 2014.
Une nuit, il sentit une vibration, un frôlement, un léger bruit d'aile dans son dos. Dans son délire, il espéra. C'était une énorme sauterelle ! Pendant plusieurs semaines, il ne put ni pleurer ni manger et perdit 10 kg.
Eugène pleurait comme un enfant : « Qui va me protéger maintenant ? »**Il avait 31 ans et revenait de la guerre ! Il était engagé volontaire en Angleterre à la tête d'une équipe de déminage avec une tête de mort comme emblème - une façon de l'exorciser- !
Grand’mère était dans sa chambre, allongée par terre, à même le sol, les pieds dirigés vers la porte, deux bougies allumées nuit et jour de part et d"autre du visage dans des bougeoirs en cuivre. Elle était entièrement recouverte d’un linceul blanc. Le rituel juif ne découvre pas le visage. C'est l'image de la vie qui doit rester dans nos mémoires.
Les miroirs, symboles entre autres de vanité souvent associés aux crânes dans les représentations figurées, étaient dissimulés sous des draps blancs. Aucun reflet ni du corps ni de l'âme qui vient de le quitter, erre et cherche sa place dans le royaume des morts ! Dans le deuil, nos pensées vont vers Dieu et non nos regards vers nous mêmes. Cette pratique dont d'ailleurs l'explication par strates se perd dans la nuit des temps est peut-être aussi liée à la croyance ancienne que le miroir au pouvoir magique est "capteur d'âme" et ne doit pas l'égarer dans sa quête.
Eugène, effondré à côté du corps de sa mère, acceptant mal qu’on lui couvre le visage avait glissé sa main sous le drap pour lui tenir la main, et Paul, tout prêt à croire au miracle, se mit à crier : « Elle bouge ! Elle bouge ! ».
Aujourd’hui, plus de 60 ans après, Paul sourit tristement en évoquant cette scène et quand il parle de sa mère avec Josiane et moi, il dit toujours : « grand’mère ».
Nous avons beaucoup partagé pendant ces années de notre enfance commune.
Lettre de Monique, ma cousine germaine, née Melki une des filles d'Eugène.
**J’ai lu et relu tous tes textes avec bonheur et émotion.., j’ai capté sur mon pad les images de la famille pour les voir quotidiennement, et même la tabatière de grand père qui me procure une joie immense quand j'ouvre la photo. Ton site est vivant, aimant, authentique, et je ressens au fond de moi la nostalgie transmise par papa quand il évoquait cette période de sa vie, son attachement à sa mère si profond, jusqu’au soir de sa vie il avait les larmes aux yeux en parlant d’elle.."ah, Ma !» Pour papa, l’Algérie était sa terre natale et maternelle. Je le comprends mieux aujourd’hui, les rituels si naturels, tricotés dans son quotidien, lui ont cruellement manqué en France, il ne s’est jamais plaint mais je mesure tout ce qui lui était vital, en rites et en esprit de tribu..
5 nov 2012
Mars 2014. Au cimetière juif de Constantine.
Je n'ai pas trouvé en 2014 la tombe de grand'mère et de la petite Juliette mais par hasard découvert celle en marbre blanc sculptée de Raymond Sultan "avoué", le frère de ma grand'mère Clara née Sultan.
Mais en 2017, à ma demande, le cousin de Jac, Pierre Sonigo a cherché, trouvé et photographié la tombe de ma grand mère à droite de l'allée principale et non à gauche comme nous l'avait dit Paul.
Depuis le cimetière juif l'hôpital à droite avec ses dômes rouges et dans la trouée le 44 rue Thiers où nous habitions, au-delà du Rhumel..
Hôpital vu du ciel. Photo Yann Arthus-Bertrand ? Au fond au delà du Rhumel on distingue nettement au 1er plan le petit immeuble du 44 rue Thiers.
1. LA FAMILLE DE MA GRAND’MERE MELKI
Née Clara, Valentine, Sultan Son père : Nathan Sultan, était un prospère commerçant en gros de tissus indigènes. Il était propriétaire d’un immeuble rue de France et de deux « jardins » dans la fertile plaine du Hamma. Dans cet immeuble, ont vécu son fils René avec sa mère, et sa fille Eugénie, dite « Zeiro », épouse de Lazare Dadoun. .
Sa mère : Rachel Guedj.
Trois frères :
1. Abraham dit « Dada » a eu un fils : Nathan dit « fifils » mort très jeune et plusieurs filles : Berthe, Yvonne, Georgette, Odette, de la génération de ma mère. J’ai bien connu Berthe, institutrice après un début d’études de droit à Alger. Mariée puis divorcée d’un homme plus jeune qu’elle de dix ans. Un enfant.
2. Raymond avoué, époux de Rachel : quatre enfants :
Robert, avoué, prisonnier de guerre pendant 5 ans. Revenu malade, marié puis divorcé.
Alice, mariée avec le pharmacien Maurice Sabben. Paulette, professeur d’Anglais. Mariée ?
Jacques, médecin mort très jeune de leucémie. J’ai connu sa femme, mère d’une petite fille que j’ai eue comme élève, en 6ème au Lycée Duruy à Paris en 1964. Autre coïncidence : la soeur de cette femme était professeur d’anglais au Lycée François Villon, où j’enseignais aussi dans les années 1970.
3. René : mort jeune, cardiaque. Epoux d’une artiste peintre : Solange Naman.
Trois soeurs :
1. Eugénie dite « Zeiro » épouse de Lazare Dadoun, un notable dans la communauté juive de Constantine. Ont adopté deux enfants dans une Institution juive en Alsace : Léon et Marie-Eve. 2. Clara, Valentine ma grand’mère 3. Augustine dite « Loueino », épouse d’un propriétaire de palmeraies à Biskra, Touitou. Ils ont eu 4 fils : William mort aussi de leucémie, jeune médecin , Pierre, Jeannot, Yvan.
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Bar Mitsva de William Touitou à Biskra. 1938.
4 neveux de ma grand’mère Clara : 3 fils d’Augustine : William, Pierre, Jeannot Touitou de Biskra et Léon Dadoun fils adoptif d’ Eugénie.
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