Au retour à Alger 1957

Au retour à Alger


 

Après la «  bataille d’Alger » septembre octobre.1957.

Les derniers réseaux terroristes et politiques furent démantelés en septembre et octobre 1957 et la « bataille d’Alger » s’acheva par une défaite du terrorisme. 751 attentats furent perpétrés en 1956. Bilan : 314 morts et 917 blessés .
 Début 1958, après notre retour à Alger, l’organisation militaro-policière commandée par le général Massu resta seule à encadrer les quartiers musulmans. Les moyens légaux ou non, employés pour parvenir aux renseignements et à ce résultat ? A chaud, dans ce climat invivable, insupportable de terreur, de méfiance, de doute, d’angoisse pour notre avenir, de terrorisme lâche, aveugle dont les cibles étaient des civils innocents, même sans haine ni esprit de revanche, nous ne nous posions absolument pas du tout la question ! Nous respirions enfin ! le Général de La Bollardière? Nous n'en avions jamais entendu parler!
Existe-t-il une arme légale, loyale contre le terrorisme aveugle? le terrorisme aveugle est-il loyal? La fin justifie t-elle les moyens? Le contre terrorisme, seule réplique constatée, semble-t-il,  ne mène qu'à l'horreur et au chaos.
L'année 1956 avait été terrible. 
Salan, le général le plus décoré de France avec son charisme et son autorité, nouvellement investi, avait eu la volonté d' écraser le F.L.N., de gagner sur le plan militaire. Aussi L'A.L.N. asphyxiée, traquée partout, privée d'armes par la fermeture hermétique des frontières avait décidé de mener sa guerre  désormais à Alger par le terrorisme. Salan ayant fait électrifier la frontière avec la Tunisie, les hommes de l'A.L.N. se replièrent à Alger.
"C'est à Alger que tout doit maintenant se passer" avait déclaré Yacef Saadi, le chef du F.L.N..
  Le 25 fev 1956  un convoi de véhicules civils est mitraillé près de Sakamody, à 50km au sud-est d'Alger, les 8 occupants dont une fillette de 7 ans sont massacrés, peu après, plusieurs familles de colons sont massacrées dans leurs fermes à l'est de la Mitidja,  Le 18 mai 1956 19 jeunes appelés tombent dans une embuscade de l'ALN à Palestro et sont tués en moins d'un quart-d'heure, du 20 au 22 juin 1956 72 attentats au révolver ou à la grenade tuent ou blessent 49 personnes, fin Juin 3 jours de chasse à l'européen dans les rues d'Alger entraînent des représailles de l'ORAF du Dr kovacs, 30 sept  2 bombes à retardement explosent sur les terrasses bondées du milk bar place Bugeaud et de la cafétéria rue Michelet : 60 blessés, 3 mourants et 22 mutilés. Le 28 décembre 1956 Amédée Frogier, Président des maires d'Algérie est assassiné par un terroriste qui réussit à s'enfuir. Le 30 décembre le cortège des obsèques traversent le centre- ville et donne lieu à une sanglante"ratonnade".  1 bombe au cimetière, 7 à Bab el Oued, 4 dans des églises. Les attentats sont quotidiens pistolets, grenades, bombes.

La bataille d'Alger

Aussi le 7 janvier 1957 Robert Lacoste ministre résident confie tous les pouvoirs de police dans le département d'Alger au Général Massu commandant de la 10 ème division parachutiste qui vient de rentrer d'Egypte, la rage au coeur, après le lamentable retrait obligé de l'expédition  de Suez contre Nasser.
 8000 parachutistes avec le colonel Bigeard prennent possession de la ville. 
La grève de 8 jours qui commence le 28 janvier 1957 est brisée en 48 h. La grève scolaire suivie par la majorité des élèves musulmans depuis fin mai 1956 s'arrête et les attentats qui avaient atteint leur paroxysme cessent. Ils passent de 112 en janvier à 39 en Février et à 29 en Mars.
 Les parachutistes sont partout, redevenus maîtres de la ville, ils ratissent chaque quartier, chaque maison, chaque terrasse de la kasbah.
 Les attentats reprennent le 10 février avec les bombes dans les tribunes pendant les matchs de foot. Mais les membres des réseaux terroristes fuient et rejoignent le maquis de la wilaya IV. Yacef Saadi chef des groupes armés et des réseaux bombes reconstitue son réseau. 
Alger est calme pendant quelques semaines et à nouveau en Juin 1957 bombes dans les lampadaires devant les arrêts de bus, près de la grande poste le 3 juin, au Casino de la Corniche le 9 juin. Alger à nouveau dans la terreur. Nous perdons des amis.
La riposte fut immédiate, la répression impitoyable : les réseaux FLN détruits, Yacef Saadi tué, des centaines de disparus jamais retrouvés.
Début Sept 57, La "bataille d'Alger" est terminée. A quel prix ? la torture ? exécutions sommaires ? La villa Susini ? Personne autour de nous accablé par la violence terroriste au quotidien ne  s'interrogeait.
Cependant qu'une autre guerre fratricide pour l'hégémonie politique se poursuivait entre le FLN qui voulait être le seul interlocuteur et les partisans de messali Hadj. A Melouza les 374 habitants du village furent massacrés le 28 mai 1957 par le FLN.
Je préparais, fébrile, mon départ début Août pour le 9 ème camp d'été d'étudiants au kibboutz en Israël. En Juin, je fis aussi le voyage à Constantine avec ma mère pour assister à la bar mitzva de mon cousin Jean-lou, le fils de Yolande. Les festivités eurent lieu dans la grande maison mauresque de la grand'mère Attali. Ce fut  une vraie fête avec tous ceux qui ne se décidaient pas encore à partir. Déja le 44 rue Thiers s'était vidé de ses habitants.  Seul mon oncle Paul était resté pour tout liquider. Et curieux sentiment d'étrangeté, je ne retrouvais plus à Caraman le regard familier et le sourire de mes amis déjà exilés.
. Ce fut mon dernier voyage à Constantine jusqu'à mon retour en Algérie en Mars 2014, 57 ans plus tard.

2 DECEMBRE. 1957.     Mariage à Paris.

 A mon retour d'Israël à Alger en Sept 1957, nous avions, enfin, le sentiment de revivre et dans un climat sensiblement apaisé, mais hélas de courte durée, nous avons décidé, toute réflexion faite et tout compte fait, Jacques qui m’attendait sur les quais avec des roses et moi qui avait chopé la grippe asiatique sur le bateau, de nous marier le 2 Décembre à Paris où se trouvait déjà une grande partie de ma famille exilée. Nous avons réuni pour un repas de fiançailles au St Georges à Alger les quelques membres de la famille qui ne viendraient pas à Paris. Ma tante Yolande peu satisfaite de la robe rouge sombre en lainage que j'avais choisie pour la circonstance, m'offrit une ravissante robe en faille bleu clair plus conforme à l'idée qu'elle se faisait de vraies fiançailles. Merci à mes si chers Yolande et Armand !
 Mon beau-père offrit le voyage à Paris à ses trois soeurs. Toutes les dames arrivées à Paris d'Algérie pour la fête s’étaient bien prémunies contre le froid de Décembre à Paris en dévalisant un fourreur à Alger avant de prendre l’avion. L’astrakan noir était à la mode et d’un prix relativement accessible.
A Paris, le maire du 8ème, reconnaissant au troupeau d’astrakans arrivé d’Algérie qui occupait la salle des mariages et peut-être aussi impressionné par les décorations de mon oncle Georges et de mon beau-père qui s'occupaient de l'organisation de la cérémonie, nous gratifia d’un discours interminable dont la teneur m’échappe encore. Les orateurs ont besoin d’un vaste auditoire pour donner leur mesure ! Et il est connu que ceux qui n’ont rien à dire parlent le plus.
Après la cérémonie religieuse à la synagogue Buffault avec dentelles blanches, redingotes, queues de pie et hauts de forme, mon oncle Georges et Paula nous accueillirent généreusement dans leur appartement du 153 Bd Haussmann pour la soirée festive où se pressaient autour du buffet de Dalloyau beaucoup de têtes qui m'étaient inconnues.
  Un bref passage ensuite au Portugal. Nous y avons visité  des cathédrales et des cloitres glacés, grimpé  à Coimbra les "escada de quebra costas"(" escaliers brise dos") vu à Nazare des lavandières avec leurs 7 jupons sur le bord des rivières, des pêcheurs en tenue traditionnelle avec leurs bonnets phrygiens, mangé de la bacalao et écouté des fados à Lisboa.
Puis nous avons fait une rapide escale au Maroc, à Oujda où mon père attendait sa petite fille. Mon père me chuchota : « Ton mari n’est-il pas trop âgé pour toi ? ». Nous en avons ri. En période de troubles, de doute, de futur aléatoire, la maturité rassure. Et Jacques  était sportif et sain. Il a fait du tennis très tôt le matin à Montrouge 3 fois par semaine jusqu'à 87 ans, il skiait, aimait lire. Et surtout il  était vif, pas du tout "pharmacien Homais". Il avait  beaucoup d’humour et un vrai don de mime.
 Nous prîmes l’avion pour Alger, incertains de l’avenir.

 


                                                         A droite la grande lessive de printemps !



                                                                                                           Evora

De retour à Alger début janvier 1958, j'ai quitté le 13 rue Fourchault à Bab el Oued et me suis installée avec tous mes dictionnaires chez Jac dans l'appartemAlice la cuisiniere 2ent du Bd Gallieni à El biar, banlieue d'Alger.
Un opulente dame espagnole d'un âge mûr y présidait au ménage. Mais, désolée, dès le surlendemain de mon arrivée, juste après avoir reçu ses étrennes de fin d'année, elle donna son congé. Ma présence devenait un obstacle à l'achat de sa biquotidienne généreuse ration de Vim. C'était une poudre à récurer.
J'ai le sens du devoir et, seule, fis de mon mieux à la cuisine. La photo de mon premier gratin d'aubergines à la confection duquel j'avais sacrifié des heures en atteste. Mais suivant les directives de Jac à qui les fritures donnaient la migraine, je n'avais pas fait frire les aubergines, alors depuis je ne me fie qu'à mes livres de cuisine et aux conseils de la vieille cuisinière de Bougie Mme Alice que toutes les familles bougiotes, juives ou chrétiennes, appelaient en renfort pour les repas de fête. Mme Alice n'a jamais pu m'indiquer avec précision les quantités pour une recette. C'était "une poignée", "une pincée", "une cuillerée", "un verre", "un bol", "un petit peu" ou le plus souvent :" tu vois, ma fille ! ". Mais je n'avais pas l'oeil, je ne "voyais" rien et elle a dû venir passer une semaine à Paris avec moi. J'ai beaucoup appris en la regardant faire. Les makrouds, bien sûr, des quiches et même des galantines de volaille avec truffes, pistaches, cognac et gelée comme les plus grands traiteurs.
 Photo de Mme Alice à Paris dans la cuisine au 54 avenue de Saxe. Années 1970.

La vie reprit. Je fis un stage de formation pour l'Agrégation au Lycée Lazerges et je travaillais par correspondance pour ne pas perdre la main pour les concours à venir.
En ville les attentats étaient très spectaculaires et meurtriers mais ponctuels et quand nous y avions échappé, nous faisions comme si rien n'allait changer dans l'immédiat mais sans nous projeter dans l'avenir en Algérie. Nous continuions à vivre, à nous réunir entre amis, à aller au cinéma malgré la contrainte du couvre-feu. Dès le printemps nous allions aussi à la plage.
Je continuais à fréquenter la bibliothèque de la fac. Beaucoup d'étudiants étaient très engagés dans l'action politique et le militantisme souvent violent. Ce n'était pas le cas de mes amis et surtout amies proches. Nous aimions le professeur André Mandouze, le spécialiste de St Augustin, militant chrétien de gauche, non pour ses sympathies et son activisme pour la cause algérienne, mais pour ses cours de thème latin. Ses notes commençaient à zéro et se poursuivaient du côté des moins zéro et, formée à son école, j'ai obtenu 16 en thème latin à l'Agrégation.
 Nous l'aimions surtout pour sa personnalité chaleureuse, sa vitalité, son énergie, l'impression de force et de générosité qui se dégageait de lui. Nous étions navrés que certains enragés l'aient malmené dans les couloirs de la fac mais nous ne nous serions pas battus pour lui. Plus tard nous avons appris qu'il avait été emprisonné en 1956, qu'il avait subi plusieurs tentatives d'intimidation et menaces de mort.  Aujourd'hui mieux informée sur son passé de résistant et son courage, je me serais plus engagée, mais nous avions choisi "notre mère" selon la formule de Camus, à cause des excès du terrorisme aveugle. Nous étions concernés mais pas impliqués, un peu en marge de l'agitation, le nez dans nos dictionnaires, non pas lâches mais  lucides, sans illusions sur notre avenir en Algérie.
J'ai rencontré Mandouze qui attendait une de ses filles devant la Sorbonne à Paris à la sortie d'une épreuve d'Agrégation en 1967 je crois. Accablé, il m'annonça qu'il avait quitté l'Algérie. " Ce n'était plus possible !" m'a-t-il dit simplement. Après l'Indépendance de l'Algérie, il avait été nommé Président de l'Enseignement Supérieur à Alger, mais il était un homme de conviction, entier, incapable de compromis ou d'accommodements. Comment pouvait-il composer avec les nouveaux maîtres du F.L.N ?
Tout le monde doit se souvenir aussi que la Constitution d'Algérie de 1963, inchangée à ce jour, exigeait, pour obtenir la nationalité algérienne, pour être un "citoyen" de plein droit, la religion musulmane, religion d'état. A défaut, il fallait apporter la preuve qu'on s'était battu pour la cause algérienne. Ce n'était pas la démocratie laïque, multiethnique et multiconfessionnelle pour laquelle ce chrétien s'était battu et dont rêvaient les utopistes !
 J'ai eu de la peine d'apprendre sa mort le 5 juin 2006.

 Mais l'Histoire précipitait son cours en Algérie, 4 nouvelles terribles années de guerre à partir de Juin 1958 et nous en avons vécu les avant-derniers tragiques épisodes : le drame de Sakiet le 8 février 1958 avec 75 civils tués dont 21 enfants par 11 bombardiers et la condamnation de la France à l'ONU. L'effondrement de la IVème République et le 13 Mai 1958 le comité de salut Public. La prise du pouvoir sans légalité par l'armée en Algérie. Massu et Salan qui font acclamer de Gaulle au Gouvernement général. La nouvelle constitution, la proclamation de la Vème République.



"Je vous ai compris!" le 4 juin 1958.

  Putsch 0

Ironie de l'Histoire les généraux du putsch en Avril 1961. Au même balcon du Gouvernement Général.


La "fraternisation" à laquelle nous avons participé le 16 mai 1958.  Et les terribles événements d'une vraie guerre qui ont suivi.
Pierre naît le 29 Décembre 1958.
La semaine des "barricades"en janvier 1960, le referendum le 8 janvier 1961, -Pascale naît le 31 janvier 1961- "Alger la Sanglante " pendant 5 jours, le putsch en Avril 1961 des Géneraux Jouhaud, Challes, Zeller et Salan qui prirent possession du Gouvernement Général.
Nous avons écouté à la radio - pas de télévision encore à Alger- à 20 heures le 2ème soir du putsch le fameux discours de de Gaulle dans lequel il dénonçait " le pouvoir insurrectionnel établi par un pronunciamiento militaire par un quarteron de généraux en retraite, un groupe d'officiers partisans, ambitieux et fanatiques".
 Jac était un inconditionnel de de Gaulle depuis la seconde guerre mondiale. Il avait à 20 ans participé au débarquement en Italie et en Provence. De Gaulle restera toujours pour lui "l'homme du 18 Juin" et les Américains resteront toujours les jeunes G.I. venus mourir sur les côtes de l'Afrique pour notre liberté le 8 Novembre 1942.
 J'étais impressionnée par la fermeté, l'autorité, le talent de l'orateur et son style. Je pensais Cicéron et son "Quousque tandem..."  contre Catilina qui fomentait aussi une conjuration pour renverser la République romaine. On ne fait pas impunément des études de Lettres Classiques !
 Mais Cicéron est mort assassiné, de Gaulle avait la baraka, il a réchappé à l' attentat du petit-Clamart et à celui déjoué à Toulon.
Jean- Marie Bastien-Thiry, 36 ans, père de 3 enfants, lieutenant- colonel, polytechnicien qui avait inventé 2 missiles anti char et organisé l'attentat manqué, fusillé au Fort d'Ivry marcha vers le peloton chapelet à la main. Ce fervent catholique  justifiait son action par la légitimité du tyrannicide théorisé par St Thomas d'Aquin. De Gaulle ne sut pas lui accorder le "Pardon d'Auguste" pour réconcilier la France avec elle-même. Je le déplore.

Pascale était née le 31 janvier 1961 et avec mes deux bébés je ne quittais jamais El Biar et mes livres. J'allais seulement l'après midi avec eux et la poussette au jardin St Raphaël, havre de paix loin des concerts de klaxons et de casseroles qui scandaient "Algérie française", loin des manifestations et de la frénésie du centre ville. Jacques qui travaillait dans la pharmacie 8 rue d'Isly était plus exposé. Une grenade explosa à l'intérieur de la pharmacie en son absence. Aucun dégât ni blessure heureusement  pour Messissi le préparateur et pour Messaoud, le père de mon amie Zina sans laquelle je ne serais pas retournée en Algérie en 2014.
.Nous avons partagé les tragiques événements qui débouchèrent sur le combat désespéré de l'O.A.S, l'engrenage de la terreur et de l'horreur, le chaos qui avaient précipité notre départ dès le 5 Septembre 1961 avant le massacre du 26 mars 1962 rue d'Isly par des hommes du 4ème régiment de tirailleurs algériens, les meurtres, les enlèvements sur une "terre brûlée" et la panique et la fuite éperdue de l'été 1962 à laquelle nous avons échappé.

En juillet 1999 seulement, le mot Guerre fut prononcé. La 2ème que je vivais, après la Seconde Guerre Mondiale. Aujourd'hui, en Mars 2016, certains hésitent encore à prononcer le mot guerre pour la lutte que nous devrons mener contre le terrorisme alors que je constate que c'est une guerre analogue qui reprend mais sur un territoire élargi à la terre habitée.
Au Caire, Nasser, la "voix des Arabes" dans son communiqué du 1er Novembre 1954 avait en effet annoncé :"la lutte grandiose pour la liberté, l'arabisme et l'islam a commencé". Khadafi, l'Iran de Khomeini, Ben laden ont pris la relève de Nasser et maintenant ils sont pléthore !

 

 

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