Alger 1954 les 3 séismes

les 3 séismes

              Alger 1954 : L’année de mes 20 ans. L’année aux trois séismes.

                                     La rupture . Le F.L.N.  Orléansville

A l’été 1954, je terminais deux années d’études en hypokhagne et khagne au Lycée Bugeaud à Alger, le « Grand Lycée » face à la mer, qui jouxtait le quartier de la Kasbah. Camus nous y avait précédés 20 ans auparavant. Notre vieux professeur de Lettres Mathieu se plaisait à l’évoquer.


 
Camus en hypokhagne
Hypokhagne 1933. Camus est au dernier rang en haut, le 2ème en partant de la droite, sans calot. Paul Matthieu, en bas à gauche, fut aussi notre professeur de Lettres.  
Chouette  La chouette d'Athéna, et "in varo virtus" tampon de la Khagne africaine. "varus" en latin signifie "cagneux" jeu sur les mots cagneux et khagneux et sur le proverbe : "in vino veritas".
98 bugeaud hypo 52 bouchet
  Hypokhagne 1952-1953 avec Faugautier professeur de lettres et  Bessières professeur d'histoire. Je retrouve tous mes camarades mais j'ai oublié les noms, pêle mêle mon amie d' enfance Colette Zaouch, Annie Courmontagne, le brillant surdoué Beyssade, Marie claude Selvez, Ripoll, le boute- en- train Accardo, Arlette Georgi  (je suis au 2ème rang à partir du bas).
  Lycee bugeaud
  Le Lycée Bugeaud aujourd'hui Lycée Abd el Kader. Photos de Claude Pernice. Je n'ai pas pu photographier moi-même le Lycée à cause de la présence de policiers qui interdisent les photos dans ce coin depuis le terrible attentat qui visait la DGSN lors de la décennie noire le 31 Août 1995.

  Bugeaud 2


 LE F.L.N. 1954

En
1954, en Algérie, l’Histoire suivait son cours. On aurait dû prévoir dans quel sens, mais nous étions peu politisés, installés dans notre routine quotidienne, comme frappés de cécité. Je suivais, amusée et peu perméable à son zèle prosélyte, les gesticulations provocatrices de  A., nouvelle convertie, militante  communiste qui vendait l’Humanité sur les trottoirs de Constantine au nez de sa famille horrifiée et à la stupeur de tout Ka-Chara scandalisé.
 Nous avons plus ou moins vite compris qu’il nous faudrait partir. Les murs le disaient : « la valise ou le cercueil ! », mais nous préférions écouter Mendès- France qui affirmait à Alger : « ici c’est la France ! » entendre : statut départemental, 3 départements français, partie intégrante légalement du territoire national, contrairement à l’Indochine, au Maroc, et à la Tunisie ! Avec 1 million de citoyens français, dont plus de 100.000 juifs indigènes devenus citoyens français en 1870. Il n’existait pas en Algérie la tradition ou  l’ébauche d’un Etat qui avait survécu dans les 2 protectorats voisins. : «  Pas de sécession concevable » disait-il le 12 Novembre 1954 devant l’Assemblée Nationale.
Camus lui-même refusera la légitimité de la revendication arabe : « Il n’y a jamais eu de nation algérienne…Juifs, Turcs, Grecs, Italiens, Berbères auraient autant le droit de réclamer la direction de cette nation virtuelle ».
   De Gaulle, le 4 juin 1958 encore, relançait l’espoir même des sceptiques, du haut du balcon du Gouvernement Général d’Alger, les bras en V, en lançant à l’adresse de la foule en liesse massée à ses pieds, hurlant à tous les échos : « Algérie française ! » la célèbre et ambigüe apostrophe : « Je vous ai compris ! »  Ou encore, le 6 juin 1958 à Mostaganem, à la fin de son discours, reprenant à l’unisson de la foule : «  Vive l’Algérie française ! »." Peut-être, qui sait ? Lui, l’homme providentiel de 1940, avec son prestige et son autorité ! " nous disions nous un peu dubitatifs.

 En 1954, Staline, le « petit père du peuple », ce psychopathe sanguinaire déjà embaumé,  venait de mourir dans son lit (1953). Tous les tyrans ne finissent pas comme Caligula ou Hitler ! En 1956, seulement, le discours de Kroutchev, « l’homme à la chaussure »,  au XXème Congrès du Parti Communiste d’U.R.S.S. ébranla un peu certaines convictions sur la réalité et la nature du régime soviétique, la grande Purge, le goulag, la déportation de populations entières. A.. hésita à abjurer.

  Mao, « le grand timonier », prophète à la petite bible rouge de la nouvelle  « Révélation » devait méditer son «  grand bond en avant »  de 1958. Il sera le premier, en 1960, à accueillir Ferrat Abbas, avec le drapeau et l’hymne algériens. Le Tibet ne posait pas de problème ! Il en faisait son affaire !
 L’  ombre de ces deux régimes s’étendait sur tous les continents. Le communisme, le maoïsme, la décolonisation étaient dans l’air du temps, séduisaient l’Intelligentsia « traditionnellement à gauche  » avec son pape Sartre*et son relais médiatique et favorisaient les ambitions territoriales des régimes totalitaires et petits potentats qui croyaient pouvoir déplacer leurs pions à leur gré derrière leurs murs et au-delà, au nom d’idées toujours généreuses : « la colonisation est l’esclavage des démocraties » disait Sartre.
En Egypte, le pitoyable noceur  Farouk, roi fantoche, avait été déposé par un coup d’état militaire. Le colonel Nasser, la tonitruante « Voix des Arabes », après avoir fait place nette autour de lui, encourageait le Maghreb à une «  guerre Sainte et socialiste », mélange incongru de panarabisme islamique et de socialisme russe, dont il serait la tête de proue. (Voir ci-après sa déclaration après les attentats en Algérie du 1er Novembre 1954).
La Lybie, ex colonie de l’Italie vaincue, déclarée indépendante en 1951 par les Nations Unies  se mettait à l’unisson de ses frères arabes avec le roi Idriss 1er. Reprenant le flambeau, le sinistre Kadhafi, « le frère guide » pendant 41ans, idéologue terroriste  panarabiste et panafricaniste par opportunisme ne fera son entrée sur la scène de  l’Histoire qu’en 1969, après le coup d’état militaire des « officiers libres » qui mettra fin à la  monarchie dynastique des Sanoussi. 
En Tunisie, le bey et le Néo-Destour, au Maroc, le Sultan et l’Istiqlal  dénonçaient les traités de Protectorat de la France. L’incendie se propageait sur les deux fronts, d’Est et d’Ouest, au Maghreb. L’Algérie était cernée. Elle ne tarderait pas à s’embraser.
Dans la confusion, la 4ème République velléitaire, improvisait, colmatait, expédiait Bourguiba à l’île de Croix et le Sultan Ben Youssef en Corse puis à Madagascar « en quarantaine ».
En Indochine, c’était la débâcle et le 7 Mai 1954, la fin de la résistance dans la cuvette de Dien Bien Phu « un bol de riz » disait le général vainqueur Giap dont les Français occupaient le fond et le Vietminh le bord : 72.000 soldats sacrifiés, 20.000 vietnamiens tombés à leurs côtés. Cette défaite encouragea les indépendantistes algériens, comme en 1945.  En Algérie le F.L.N. promettra «  un Dien Bien Phu rue Michelet ».
  La révolte algérienne commença quelques mois après la défaite, quelques mois aussi après la visite de Mendès France au Bardo. Mendès France mit fin à Genève à la tragique absurdité d’Indochine, qui reprit aussitôt avec d’autres acteurs vautours de part et d’autre du 17ème parallèle.
En Mai 1954, des militants  du M.P.L.P essentiellement (mouvement pour la libération du peuple) de Messali Hadj se réunissaient à Alger pour planifier une action de guérilla à travers l’Algérie. Ils prenaient le sigle un peu verbeux de C.R.U.A. (Comité Révolutionnaire d’Unité et d’Action) pour le changer 3 mois plus tard, au Caire, en F.L.N. plus lapidaire mais surtout plus explicite : Front de Libération Nationale, un programme en 3 mots : lutte pour l’indépendance nationale algérienne.


LE SEISME D’ORLEANVILLE :
 
Le 9 Septembre 1954, la terre trembla. A Orléansville, un séisme de magnitude 7 fit plus de 1200 morts et 5000 blessés et suscita, dans un grand élan altruiste du pays,  un mouvement de solidarité et d’unité apparente. Dans l’ombre,  se préparait la guerre qui éclatera moins de 2 mois plus tard, durera 8 ans sans jamais dire son nom : « événements », « opérations de maintien de l’ordre » ou « de pacification »,  contre le F.L.N. des « fellaghas » «  coupeurs de route, bandits de grand chemin », des « terroristes ». Le mot « guerre » ne sera officialisé qu’en 1999. Et à aucun moment de cette tragique histoire nous n’avons eu une vision complète et objective de la façon dont les événements se déroulaient. Tractations secrètes, marchandages occultes, arrière- pensées, dissimulation de preuves, changements de cap, aveuglement ou hypocrisie d’Etat !
  A notre insu. Comme dans les tragédies grecques !

* Sartre, le « Castor », Montand, Signoret, Picasso, Eluard, Aragon, etc…

    De Gaulle Alger 4 juin 1958 sortant du tunnel des Facultés.
  Photo que j’ai prise du balcon de la rue Michelet chez mes beaux-parents. .


 

Commentaires

  • Olivier Courmontagne
    • 1. Olivier Courmontagne Le 10/07/2020
    Bonjour,

    Au gré de quelques recherches sur ma famille et mon grand père qui était juge au tribunal d'Alger, je découvre une photo où figure ma tante, Annie Courmontagne. Ce qui m'amène sur votre blog.
    J'aurais aimé échanger avec vous, je sais très peu sur cette époque où mon papa, Alain-Michel et ses sœurs Annie et Geneviève vivaient en Algérie.

    Bien cordialement,

    Olivier Courmontagne
    • claudesicsic
      • claudesicsicLe 11/07/2020
      Annie et moi étions des condisciples très proches d"abord à Tlemcen au Collège de Slane , puis à Alger en hypokhagne et khagne. J'ai très bien connu donc à Alger votre arrière- grand-père veuf déjà qui hébergeait Annie et chez qui nous allions travailler ensemble. A Tlemcen où son père était juge j'ai souvent rencontré ses parents, vos grands- parents donc. Ensuite Annie est partie à Paris pour passer l'agrégation. Elle était très douée en Lettres. Annie s'est mariée avec un de nos condisciples Cardoni je crois et après l'agrégation et l'exode nous nous sommes perdues de vue. Je serais très intéressée et émue d'avoir de ses nouvelles.
  • Guedj
    • 2. Guedj Le 12/06/2014
    Claude qui? J ai été´ en hk à Bugeaud en 54/55. Toi aussimax

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