La carriole de Paul

La planche à roulette de Paul dite carriole (ou carrico à Oran, carriouled à Constantine)

Un jour, Paul, disposé à nous faire partager son jeu favori, très pratiqué aussi par les petits Arabes ("yaouleds" d'où probablement le nom carriouled), apporta sur la terrasse une planche à roulettes de sa fabrication, grossière ébauche des planches actuelles, faite de bric et de broc, de bois de récupération, de ficelle et de fil de fer sur laquelle on avançait assis après une énergique impulsion des deux jambes ou poussé par un compagnon de jeu, en terrain plat.
D’ordinaire, Paul dévalait le trottoir pentu de la rue Thiers sous les arcades, très peu fréquenté, et y usait ses chaussures pour le freinage, ses culottes et ses genoux.
Mais la rue était interdite aux petites filles de la maison. Ma sœur Josiane prétend avoir au moins une fois enfreint l’interdit mais elle était plus petite que moi et un peu « garçon manqué ». Paul arriva donc sur la terrasse, sa carriole sous le bras.
Ce jour- là, ma grand’mère qui travaillait dans la cuisine juste sous la terrasse, excédée par le vacarme de ferraille assourdissant, sur les tomettes, des roulements à billes qui servaient de roues et des chocs sur les murs de la « carriole » dans ses trajectoires hasardeuses, nous cria d’en bas, dans l’escalier, toute sorte d’insultes en arabe qui lui étaient familières. Quand nous descendîmes, elle nous accueillit devant la porte, un par un, avec une grande tape dans le dos, poing fermé, mais volontairement amortie, en réitérant ses insultes. Les châtiments corporels n’étaient pas en usage dans notre famille et le nerf de bœuf suspendu dans le couloir, arme de dissuasion plus efficace que le petit martinet, était complètement désaffecté.
Donc l’expérience de la planche à roulettes sur la terrasse tourna court.
Grand’mère était une sorte d’anthologie vivante de la malédiction en arabe.
A la décharge de grand’mère, je dois dire qu’elle maîtrisait aussi tous les contrepoisons, antidotes et parapluies contre les influences maléfiques : le 5, le feu, le sel, les formules magiques en arabe etc…
Les injures et malédictions avaient aussi leurs contrepoids en arabe : l’arméra : mon âme, na bébèsse : je prends ton mal, kappara : je meurs pour toi, l’aziz ou l’aziza : chéri(e), mais je ne me souviens pas qu’elle ait utilisé souvent ces expressions en arabe. Le méritions-nous ? Ou préférait-elle le français plus sobre dans ces cas et surtout plus explicite pour nous ?
La colère fusait en salves de gutturales arabes, les autres sentiments devaient s’exprimer plutôt en français.

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